Le Grec 13 ans - Chamonix

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, c'est à Chamonix et en Oisans (Ailefroide et à La Chapelle-en-Valgaudemar) que le jeune Georges Livanos prit goût à la montagne. Enfant unique, son père, négociant en café, et sa mère passaient avec leur fils leurs vacances d'été à la montagne, surtout à Chamonix, logeant à l'hôtel. 

Le Grec tenait à jour ses courses sur de petits carnets et sur de plus grands il mettait les photos des grandes voies des Alpes et des Dolomites qu'il avait gravi.

Robert Tanner NW des Goudes 1939 - col. Livanos

 Tanner 1ère pilier de Bertagne

Tanner

  1ère paroi jaune  2ème relai (col. Livanos)

 "j'enviais sa virtuosité, j'aurais aimé, orgueil enfantin, être le "grimpeur N°1 des Calanques" ! Je le suis devenu parce qu'il s'est arrêté de grimper" (Au delà de la verticale). Avec Robert Tanner, en 1940, à 17 ans, Le Grec ouvre la Paroi jaune, qui restera la plus difficile des voies d'artif des Calanques pendant plus de vingt ans. Il a toujours considéré Robert Tanner comme le plus brillant grimpeur qu'il ait connu. 

Contrairement aux "professionnels" et aux jeunes grimpeurs d'aujourd'hui, il ne grimpait que les week-ends qui pendant des années ne commencèrent que le samedi après-midi et pendant les vacances soit 4 semaines au maximum - à son époque il n'y avait ni RTT ni 35 heures - le Grec se déplaçait en transport en commun : ainsi pour aller grimper au pic de Bertagne, avec Sonia et ses amis, ils prenaient le tram jusqu'à Aubagne puis le bus jusqu'à Gémenos, enfin à pied jusqu'à la paroi. Pour aller à Chamonix, il prenait le train et ailleurs, dans le Vercors par exemple, c'était en Vespa qui était son véhicule de représentant en matériel d'imprimerie avec lequel il parcourut les Bouches du Rhône, le Var et le Vaucluse pendant 10 ans. Il faudra qu'il attende que Robert Gabriel s'arrête de grimper en 1956 pour trouver un nouveau compagnon, Marc Vaucher qui lui roulait en DS et enfin connaître le confort de l'automobile et le gain de temps qu'elle procurait. Le Grec ne passa jamais son permis de conduire comme il n'apprit jamais à nager. Un comble pour un Marseillais ! Il disait d'ailleurs être "un grimpeur du Dimanche" et non un véritable "sportif" comme les jeunes gloires d'aujourd'hui qui naviguent dans le 8 ! En plus il fumait comme un pompier, des cigarettes jaunes, les Gitane maïs: on savait que le Grec avait fait telle voie en découvrant des mégots jaunes bien coincés dans une fissure! Malgré cela, son palmarès est encore à ce jour époustouflant en quantité et surtout en qualité : Ah, les voies Livanos ! Leur répétition suffisait pour se convaincre que l'on faisait partie des bons ! Elles étaient un must ("Celui qui passait sans bivouac au pilier Livanos d'Archianne pouvait envisager les grandes faces nord…Bruno Fara, escalade années 70)  enfin surtout dans le Vercors, car dans les Dolomites, il y avait nettement moins d'amateurs français tout au moins dans les années 50 et 60. Voici comment il concluait son score à la fin de 1978, année où à 55 ans il s'arrêta de grimper soit après 40 ans d'activité :

(extrait de son carnet de courses) 

" SCORE A FIN 78"

Voies Calanques       134.500 mètres

Essais divers              10.750 mètres

Chamonix                    8.900 mètres

Oisans                         6.600 mètres

Bregaglia                     1.500 mètres

Ecole & Verdon           15.860 mètres

Dolomites                   64.000 mètres

                              242.100 mètres

Heures                       8.900

Pitons                       25.000

Rappels                     1.450

Calanques    630 voies (500 premières et 1660 parcours)

Voies nouvelles Calanques & Montagne : 56.160 mètres

            60 "1ère" (32 en VI - 38 à l'étranger)

            91 bivouacs

"J'ai grimpé avec environ 300 mecs !"

e basta !

Certains "dénigreurs" (surtout de jeunes grimpeurs parisiens que je côtoyais dans les années 60 - les "anciens" avaient eux très vite reconnu l'exceptionnelle valeur du Grec - disaient que le Grec était peut être fort mais qu'il restait un grimpeur de rocher des Calanques et des Dolomites. Outre que les jeunes générations ont du mal à accepter la gloire de leurs aînés tant qu'elles n'y ont pas elle-mêmes accédés, ces "excités" du gratton qui se prenaient pour de "pures lumières" à l'instar de Pierre Allain ne connaissaient rien au Grec ni son palmarès Alpin.

"Le Grec" enfant à Chamonix

Chamois bondissant vers le sommet" août 1938 "Georges en tête, maman et papa" aiguille de l'M (col. Livanos)

Qu'on en juge  :

En 1937, à 13 ans le Grec gravit son premier sommet. Il s'agissait de l'aiguille du Tour avec Alfred Burnet et ses parents (à droite).

Il fit ensuite des courses dans le massif du Mont Blanc en 1937 et 1938 avec Ulysse Simond avant de prendre son envol définitif.

Ulysse Simond

En 1938, il participa à la fête des guides et c'est Armand Charlet qui annonça la démonstration du jeune stagiaire Livanos (15 ans) qui gravit la grande arête aux Gaillands. Le Grec gardera toujours un lien fort avec la vallée de Chamonix et la compagnie des guides et vivra à Coupeau des années heureuses après sa retraite de "grimpeur".

aux Gaillands avec Armand Charlet 1938 

fête des guides 1938

La grande arête - Les Gaillands 1938 (col. Livanos) "Et maintenant, le stagiaire Livanos nous fait une démonstration d'escalade libre !" (Armand Charlet)

Ayant fait quelques courses "familiales" avec ses parents et la marquise d'Albertas (membre du GHM et "excellente alpiniste marseillaise") en 1939, son père demanda à la marquise de le prendre en charge dans les Calanques avec ses amis (dont Jean Save de Baureceuil, autre membre du GHM) et de ne pas le laisser passer tête. Mais il ne fallut pas longtemps pour que Le Grec désobéisse à son père, comme il l’’écrivit dans son livre Au-delà de verticale : « Un jour, notre leader ayant échoué dans un passage à cause d’un poignet foulé, il redescendit en abandonnant un piton et me demanda de monter le récupérer. Arrivé au piton je vis s’élancer devant moi de belles dalles grises…trop tentantes. Mme d’Albertas s’aperçut de ma fugue lorsque je terminai la longueur de corde. Elle était un peu inquiète, pas trop cependant, car dans la « bande » tout le monde grimpait plus ou moins en premier et les craintes de mon père faisaient sourire. Ce fut une des plus grandes joies de ma vie. Sa carrière de grimpeur de premier ordre commençait.

Dès lors, à partir de là les premières s'enchaînent  : 24 en 1941, 28 en 1942 et 15 en 1943, avant qu'au début de l'été il rejoigne les camps de jeunesse et montagne (ce qui lui permettra d'échapper au STO)."

Dans ces premières il y a "La Centrale" (avec Gaston Rébuffat - 1941), qui resta la plus longue voie en 6 des Calanques pendant longtemps, "la paroi jaune" (avec Robert Tanner - 1940), la plus difficile des voies en artif de l'époque et qui le restera pendant encore plus de vingt ans et il répète en 1941 la voie du pilier de Bertagne (la Walker marseillaise) ouverte par son ami Robert Tanner et Suzanne, sa femme, (leur chef d’œuvre avec la Directe),  l'entreprise qui restera la plus difficile de la région pendant très longtemps.  Comme l'écrira Robert Gabriel dans sa préface d'Au delà de la verticale :

"Il est bien évident que Georges Livanos a été l'un des plus forts pour ne pas dire le meilleur d'entre nous et pourtant, malgré une suffisance qui n'est qu'apparente, il a un immense respect pour les grands noms de l'alpinisme comme Soldà, Cassin et même des plus anciens tels que Knubel ou les frères Lochmatter, ou pour encore certains grimpeurs marseillais tels que Robert Tanner."

Malheureusement après le pilier de Bertagne, Robert Tanner cessera l'escalade l'année suivante, ou plutôt "heureusement" pour Le Grec si l'on lit ce qu'écrit à ce sujet Le Grec, considérant les gros risques qu'ils avaient pris dans la paroi Jaune : "...les circonstances qui par la suite nous empêchèrent de grimper ensemble sont à considérer comme favorables.  Nous avions autant de chances d'aboutir au sommet des plus invraisemblables parois qu'aux cimetières de Chamonix ou de Cortina d'Ampezzo."

Le futur Grec avait des parents en or. Comme il l'écrit dans son livre : "Au contraire de la plupart des mères, la mienne a toujours encouragé ma passion pour la montagne, elle ne pouvait être ainsi qu'une seconde fois ma mère. En septembre 1945, elle fit toutes sortes de démarches pour obtenir mon affectation à un camp de montagne à Ailefroide. Après de laborieux échanges de messages officiels, l’État-major de Marseille reçut de celui de Paris les autorisations nécessaires, mon concours ayant été déclaré indispensable au bon fonctionnement d'un camp dont la cérémonie de clôture venait d'avoir lieu..."

En 1945, à 20 ans, il fait  la 10ème ascension de la face sud de la Meije  (sa première course "sérieuse" en montagne avec Albert Ouannon, "Pépé") ; la 8ème ascension de l'arête ouest du pic sans nom (avec Righetti), la 3ème ascension du pilier sud des Écrins (avec Jean Franco en 5h"30.  4h15 haltes déduites et 7 pitons seulement). L'année suivante en 1946, il enchaîne la 2ème ascension de la face sud du Grand Dru (avec Charles Magol) , la 5ème ascension de la face nord des Grands Charmoz (avec le même),  tentative de première à la face ouest des Drus arrêtée par la chute continue de pianos à queues dans le couloir d'attaque ; en 1947, il fait une première à la face ouest du Grépon (avec pour la première fois son compagnon des premières grandes courses dolomitiques, R. Gabriel ainsi que Roger Duchier et Charles Magol) ; la 2ème ascension de la face nord du Requin (avec R. Gabriel et G. Estornel),  l'arête de la République (avec R. Gabriel, les 3/4 de la course sans corde) ; en 1948, escapade en Oisans, pour faire la première hivernale de l'arête sud-ouest de la Dibona (avec R. Gabriel). En 1949,  il fait la 2ème ascension de la face nord-est de Leschaux (avec R. Gabriel) 

 Le Grec au col de Leschaux 1947 (col. Livanos)

Gabriel au col de Leschaux 1947 "l'air aimable" (col.  Livanos)

et la 1ère ascension complète de l'arête nord du Peigne (avec R. Gabriel). Cette année le Grec décide qu'il y en a marre des trombes d'eau chamoniardes qui le mettent à la portion congrue. Direction les Dolomites : là au moins le temps est meilleur , plus propice à enchainer les voies. "En route pour la Gloire !". C'était à 24 ans, une décision digne du grand maître, visionnaire qu'il allait devenir.

 Robert Gabriel dans la Traversée de la Cassin Cima Ovest 1950 (Photo Hans Lobenhoffer)

Le Grec 1948 (25 ans) (col.  Livanos)

Dans les Dolomites, le Maître commence "très fort" en faisant avec R. Gabriel en 1950 la 10ème ascension de la Cassin à la Ovest. A la traversée une cordée allemande conduite par Hans Lobenhoffer, compagnon de Heinrich Harrer à la 3° expédition allemande au Nanga Parbat de 1939 et fait prisonnier par les Anglais, les rejoignent et impressionnés leur demandent de faire cordée ensemble. Du coup, Gabriel en profite pour filer son sac à un des Allemands et passe la traversée comme une fleur ! Comme quoi, il faut toujours se méfier d'un "Marseillais". 

Robert Gabriel dans la Torre di Valgrande (col. livanos)

L'année suivante, avec Robert et Sonia il fait la 4ème ascension de la face nord est de la torre di Valgrande (1ère féminine et premier "sesto superiore" parcouru par une femme). 

4 jours après, c'est la première de la Su Alto avec R. Gabriel, le problème N°1  des Dolomites, convoité par de nombreux "as" italiens.

Robert Gabriel

 dans la Su Alto  (J.Fréhel 65 annales GHM)

La Su Alto + : limite des tentatives (col. Livanos)

A partir de là, le Grec fait partie du Gotha des grimpeurs italiens et enchainera les répétitions de grandes voies dont beaucoup de 2ème ascensions et des premières (sans compter les nombreuses premières féminines de Sonia) :

Refuge del Pietro avec Sonia et Robert Gabriel et Fortunato (lors de leur 1ère ascension du Spigolo ouest du Monte Cavallo en 1953 - VI sup) (col Livanos)

Monte Cavallo la voie (col.   Livanos)

Sonia

Sciora di Fuori Jack Canali "le cowboy" en tête (photo Marc Vaucher)

Marc Vaucher, Roger Lepage, Le Grec, Romano Merendi, Jack Canali et Sonia

Roger lepage, dit Baffo fidèle compagnon du Grec (photo Marc Vaucher - Col. Lepage)

Cima Tosa - Torre Gilberti 62 (col. Livanos)

Le Grec - Roda di Vael 1962 voie Maestri (col. Livanos) 

Cima de Gasperi

Jacques Brès

Les années suivront sans faiblir :

  Baffo La moustache - Roger Lepage (col. Livanos)

 Sonia, Jean Max Bourgeois et le Grec à l'attaque du Corno del Doge

Marc Vaucher

face Ouest Cima d'Auronzo avec Stenico 70 (col. Livanos)

A Georges Livanos qui a ouvert cette voie merveilleuse il y a 20 ans.

R.Cassin avec toute son amitié et son admiration.

 Les 3 premières à la cima dei Tre (col. Livanos)

A ces voies des Dolomites il faut rajouter les très belles premières en Oisans et dans le calcaire français, en particulier :

En 1959, face sud ouest de l'aiguille de Sialouze ED (Vaucher, Lepage)

En 1961, la paroi de Glandasse ED (Vaucher, Lepage) ; Rocher des Heures ED - (avec les mêmes)

En 1967, face SO de la Tête du Jardin ED (Sonia, Lepage, Marc Vaucher) ; arête SE du signal ED - (les mêmes et P.Alex)

En 1968, la paroi des Voutes ED (Soleymieux et P. Alex)

En 1971, le pilier sud Rocher des heures ED (MarcVaucher) 

Son amitié avec les grimpeurs des Dolomites et ses premières font qu'encore aujourd'hui, "le Grec" est le seul grimpeur français à figurer dans le gotha des grimpeurs des Dolomites à l'instar de son héro et égal, Ricardo Cassin - voir Pareti Verticali :

  I GRANDI DELL'ALPINISMO DOLOMITICO 

 

Photo du Grec - grande salle du refuge Vazzoler (photo J. Vaucher)

Le Grec, s'arrête de grimper à 55 ans. 

 "L'aigle ne chasse pas les mouches"

 disait l'un des compagnons de mon cher Tartarin. J'avais moi-même écrit un jour à Robert Paragot :

 "Quand on a chassé le lion, le lapin c'est petit". .

     et je citerai Robert Gabriel : 

"Si je me tuais dans les Calanques ou dans du facile, je n'oserais plus sortir".

voir Postface à Au delà de la Verticale